mardi 17 juillet 2012

PLATON vs HOMÈRE : les paradoxes de l'invention-transmission de la Grèce, archétype-mythique, fondatrice de notre culture-Monde


          Si l’IDENTITÉ de l'auteur-poète, des origines mêmes de notre CULTURE, pose problème ; il n'en va pas mieux de  l’IDENTITÉ  du peuple qu'il détermine dans le CADRE, encore, mythique sinon traditionnel, du TEMPS (l'Iliade) et de l'ESPACE (l'Odyssée). 

              Dans mon premier message (17.07.02) introductif, j'ai commencé par évoquer comment les archéologues du XIX avaient pu croire éclairer cette obscurité des origines. C'est précisément sur cette question des origines, que s'est jouée la naissance de la PHILOSOPHIE et de la science, dont les nouveaux concepts de temps et d'espace ont permis l'éclosion de l' HISTOIRE  et de la  GÉOGRAPHIE . Quand on a pu commencer, pour la première fois, à parler d'histoire et de géographie, avec Hérodote, Thucydide et Érastosthène, le savoir d'Homère, comme vérité du chant de la déesse, la Muse fille de Zeus et de Mnemosyne (Mémoire), pouvait bien comme le voulait PLATON n'être plus considéré que comme une tradition à réviser, sinon à condamner ou à bannir (République, III, 398 a-b).

         Mais attention, avec PLATON la philosophie ne naît pas toute armée du cerveau de Zeus, comme Vérité mathématique des idées à substituer à la tradition, reléguée comme mythe ou fable pour les ignorants. Ce n'est pas contre Homère mais tout-contre que Platon se bat, non pas pour dépasser la tradition mais pour la fonder plus essentiellement au moment même où elle vacille.
           Si Socrate peut dans la République de Platon critiquer les dieux d'Homère pour leur immoralité, contraire à l'éducation, il n'inaugure rien. Il ne fait que reprendre ce que dénonçait Xénophane de Colophon, dès le VIe av. J.-C. ou un peu plus tard Pindare, lui-même, qui pour cette raison corrigeait les mythes. Ces critiques grossières par rapport aux subtilités du texte homérique restent d'ailleurs au niveau de ce qui est devenu une défiance populaire pour ne pas dire vulgaire.
                 Si Platon leur fait écho à travers Socrate, c'est qu'il veut pouvoir retrouver ou refonder, sur une base rationnelle sinon raisonnable, l'unité ainsi perdue du religieux et du politique dont Homère pouvait être l'expression devenue anachronique sinon naïve.

                      Pour Platon il ne s'agit pas de dépasser les mythes, mais de leur faire retrouver leur efficacité politico-religieuse. Ce pragmatisme est la leçon même de la sophistique mais non plus mise au service de l'intérêt individuel mal compris. Indépendamment de leur fondement incertain ou fictif, les mythes doivent retrouver la force unificatrice du social dont ils se nourrissaient ou étaient l'expression. Platon veut pour cela qu'il puisse cadrer à un modèle de cité dont l'idéalité ne serait pas une utopie moderne à inventer, mais l'essence même de la cité archaïque ou première à retrouver.
            Corriger Homère, ce n'est pas se débarrasser du mythe, c'est retrouver ce qui pouvait être sa pureté originelle : la religion identifiée à une politique où prime l'intérêt du Tout comme société ou cosmos sur ses parties constitutives et hiérarchiquement subordonnées. La révélation de cette pureté perdue a donc besoin des règles méconnues, sinon oubliées, par Homère lui-même.
             Ces règles doivent se fonder sur l'essence ou l'idée même de divinité qui est nécessairement identifiée au Bien (à la différence de l'Iliade II, IV 64-104 ou encore XXIV 527-529), sans pouvoir changer de forme ou nous tromper avec cet usage constant de la ruse, si spécifique à la figure homérique de Zeus, d'Athéna ou de son protégé : Ulysse.

               Il y a ainsi un double PARADOXE de Platon, qui invente conjointement le MYTHE comme ART et réciproquement, avec l'invention de la philosophie qui serait leur cadre et leur régulation.

               Il n'y a pas de mythe, au sens propre de mythologie, tant qu'on ne cherche pas à le produire selon certaines règles pour substituer à son efficacité, vécue rituellement et symboliquement, une efficacité construite et pensée rationnellement. 
             Platon invente donc le mythe comme il invente son art ou production dans le cadre et les règles strictes qui le légitime, en le définissant séparément pour mieux le subordonner et le contrôler. 
           Il invente ainsi l'art en général comme production d'images ou de fictions, qu'il faut séparer ou définir par une nouvelle pensée ou pratique :  la philosophie.
    
        Mais nous arrivons au comble du paradoxe ! Cette invention de la philosophie, est elle-même paradoxalement un art capable de produire des contre-fictions mythologiques comme celle de Socrate.
       Car Socrate n'est-il pas dans la mythologie ou le théâtre des dialogues de Platon comme le double ou le miroir du poète, de l'artiste ou du sophiste aux mille ruses ? Ce jeu de masques lui permettait de sacrifier autant le poète devenu auteur ou artiste que le sage devenu sophiste.
             Il s'agissait de sacrifier les nouvelles figures de la séparation ou de l'individualité à l'autel d'un ordre de vérités premières (les Formes ou Idées) qui seraient, paradoxalement, né et perdu avec Homère et la tradition dont ce dernier restait encore pour Platon l'image ou l'ombre la plus dominante, mais écrasante et vacillante.


      Pris dans la même tourmente de l'impossible accouchement des sociétés modernes, depuis cette rupture ou perte fondatrice de leur tradition ou principe originel, Nietzsche et Heidegger, avant et après la première Guerre Mondiale européenne, auront beau jeu de renverser à leur tour Platon pour chercher à lever le voile de cette Grèce-archétype, obscurcie ou perdue, origine et fin de l'Europe et du Monde en route et déroute...

          
        Mais derrière ce nom, image-fiction ou cadre d'une unité fondatrice et perdue : la GRÈCE, qu'en est-il des "hommes", du "peuple", UN, ou des "peuples", MULTIPLES, qu'elle a pu rassembler originairement pour le meilleur et le pire de cette EUROPE comme "culture-monde" dont nous avons encore l'héritage, sinon la dette et le destin de son incessante déconstruction, sinon effondrement et reconstruction ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire