dimanche 3 février 2013

Entre littoral et haute mer, le chemin grec comme ruse et religion

Du pouvoir de Mètis à celui de la Vérité



      La Grèce de l’antiquité c’est d’abord un lien linguistique, qui surmonte la réelle variété des dialectes. Mais elle échappe aux anciennes cartes comme à celles d’aujourd’hui. Car elle n’a pas plus d’unité géographique que d’unité ethnique ou politique. Ce pays est, alors, morcelé en une succession de petites cités. Celles-ci répètent, pour leur propre compte, le même mode de territorialisation (eschatia, chôra,villages, port, acropole, ville) à partir d’un espace le plus souvent fermé par des lignes de crêtes (montagnes ou versants de vallées) avec un côté ouvert sur la mer. Certes, c’est là que le danger risque le plus de croître, mais, pour reprendre le paradoxe d’Hölderlin, c’est précisément là que peut donc aussi croître ce qui sauve.

          Voir la mer avec le regard d’un homme de cette époque, c’est l’imaginer « comme une limite, une barrière étendue jusqu’à l’horizon, comme une immensité obsédante, omniprésente, merveilleuse, énigmatique » (BRAUDEL, La Méditerranée, l'espace et le territoire, rééd. 1996, p.47). Il faudrait ajouter, ce qui toujours menace et parfois gronde sous ces qualificatifs : le danger. Sinon comment comprendre que naviguer cela a d’abord été caboter : aller comme les crabes de rocher en rocher..



       Privilégier ainsi le chemin du littoral, c’est tenter d’utiliser la mer comme un fleuve dont le cours pourrait être apprivoisé, sinon maîtrisé. Car ce qui caractérise cet espace liquide aux dimensions inconnues, c’est son extraordinaire puissance de métamorphose qu’expriment les divinités marines. La seule arme contre cette puissance infinie, ce n’est pas la force mais seulement la ruse qui, au sens de la métis grecque, est elle-même une force de transformation.




          Face à ce qui est moins un cosmos qu’un chaos ou moins un « être » qu’un pur « devenir », rien ne sert de contempler les formes et les essences immuables. Il faut, comme Jason ou Ulysse, avoir un esprit suffisamment souple et retors pour risquer d’inventer, à chaque nouvelle occasion, un nouveau plan capable de traverser l’a-porie. Dans le vocabulaire grec, le chemin, au sens de póros, n’est d’ailleurs jamais une route terrestre. C’est uniquement une voie maritime ou fluviale, précisément parce qu’elle ne peut inscrire sa trace comme on inscrirait les contours et les traits d’une « carte ».